BOOK REVIEWS

Christine P. Wong : Financing Local Governement in the PRC

L’ouvrage publié sous la direction de Christine P. W. Wong est le fruit d’une recherche collective menée sous les auspices de la Banque asiatique du développement et co-financée par le Ministère des finances chinois. C’est dire toute l’importance attribuée au sujet par les autorités chinoises dans la mesure où ce n’est pas tous les jours qu’une recherche effectuée par des chercheurs étrangers est financée par un organisme public chinois. Ce livre constitue en fait le deuxième volet d’une recherche plus vaste consacrée au système fiscal chinois ; le premier volet, paru en 1995 (1), analysait l’évolution du système fiscal depuis le début des réformes dans la perspective du gouvernement central et de ses rapports avec les gouvernements provinciaux. Ce deuxième ouvrage étend cette fois les recherches en direction du financement public au niveau local (villes, districts, bourgs et villages), tout en comparant l’expérience chinoise à celles d’autres pays. Pour bâtir leur analyse, les auteurs ont réalisé une étude approfondie des finances locales dans deux provinces, celles du Shandong et du Guizhou : quatre villes ont été choisies, Qingdao, Tai’an dans la province du Shandong, Guiyang et Anshun dans la province du Guizhou et quatre districts, Qufu et Penglai au Shandong, et Zunyi et Puding au Guizhou ; les auteurs ont également récupéré beaucoup de matériaux sur la province du Hebei, ce qui, au total, avec les statistiques disponibles au niveau national, leur permet d’obtenir une image assez fiable de l’état des finances locales.

Malgré l’importance du sujet, le financement public local est resté jusqu’à une période récente très largement ignoré des études chinoises. Quelques ouvrages parus récemment comme celui de Marc Blecher et Vivienne Shue (2) ou l’article collectif de Christine Wong, Albert Park, Scott Rozelle et Changqing Ren (3), ou encore sous un angle un peu différent, le programme de recherche mené par David Goodman (4) sur les provinces chinoises, ont tenté d’aborder ce problème. Cependant, aucun d’entre eux ne traite de front ou de manière aussi détaillée ce sujet. L’ouvrage édité par C. Wong fera donc certainement date dans ce domaine.

L’enjeu est pourtant de taille. En effet, les auteurs révèlent que selon une étude de la Banque asiatique du développement, la Chine devrait investir pour répondre aux besoins de la croissance, dans les dix années à venir, dans les secteurs des télécommunications et des transports seulement, près de 500 milliards de dollars US (p. 124) ; plus de 300 grandes villes et 13 000 villes moyennes ont été créées administrativement depuis 1983 pour tenir compte de la croissance de la population urbaine qui devrait passer à près de 750 millions en 2010. Or, il apparaît qu’en Chine, les finances locales sont un des maillons les plus importants du financement des services à la population (santé et éducation) et des infrastructures urbaines, puisque les auteurs estiment que jusqu’à 60 % des dépenses budgétaires du pays sont effectuées par les échelons administratifs locaux (sans compter les fonds extrabudgétaires et autres revenus gardés presque exclusivement par les gouvernements locaux, et qui augmenteraient encore ce chiffre).

Les auteurs concluent cependant que le système fiscal chinois est mal organisé pour répondre à ce défi. Un des grands enseignements de l’ouvrage repose sur le fait que la réforme économique a conduit tous les échelons administratifs chinois locaux vers une plus grande autonomie en matière de revenus et de dépenses fiscales ; cependant, comme contrepartie de cette évolution, on assiste à de très graves disparités entre les différentes localités chinoises dans leurs capacités à pourvoir les aux besoins les plus élémentaires de la population. Les comparaisons internationales fournies par les auteurs montrent que la Chine serait un des pays où ces disparités sont les plus flagrantes. Avec les exemples donnés sur l’éducation et la santé, les auteurs illustrent ces déséquilibres, mais ils insistent également sur les contrastes entre les décisions politiques prises au niveau central et leur applicabilité. Le gouvernement central a en matière d’éducation et de santé pris un certain nombre de mesures comme il le fait habituellement, à savoir sous la forme d’objectifs quantitatifs sans se donner les moyens de les réaliser sur le plan du financement et de la gestion. Les dépenses d’éducation dans les zones rurales les plus pauvres de la province du Guizhou ne suivent pas la croissance des revenus fiscaux. La part relative des dépenses d’éducation dans les dépenses budgétaires totales est en déclin, passant de 13,6 % en 1989 à 12,3 % en 1993 (p. 224). Dans la majorité des cas, les autorités locales ont dû recourir à des taxes de divers types (le plus souvent sans l’autorisation des autorités centrales) pour financer les dépenses d’éducation (p. 230). De manière générale, le revenu fiscal moyen par district chinois était de 34 millions de yuans, mais on assiste à une très forte disparité : 161 districts, les plus riches, avaient un revenu fiscal dépassant les 100 millions de yuans ; en revanche, en bas de l’échelle, on trouve quelque 2 000 districts qui n’arrivent pas à couvrir leurs besoins par les impôts qu’ils lèvent. On retrouve à un degré moindre la même dispersion au niveau des villes.

De ce point de vue, le chapitre 7 rédigé par C. Wong et L. West sur la question de l’égalisation des dépenses publiques en fonction des besoins des localités chinoises, est certainement un des plus intéressants. Il fournit les principaux éléments d’explication de ces déséquilibres et permet d’entrevoir les grands chantiers à mener par le gouvernement chinois en matière de politique fiscale. Le premier élément d’explication donné par les auteurs repose sur la lente érosion et la mauvaise utilisation des transferts de revenus fiscaux entre les échelons administratifs depuis 1978. Les auteurs ont réalisé plusieurs traitements statistiques pour mesurer les différences entre les capacités de revenu et les capacités de dépenses afin d’évaluer l’efficacité des procédures de transfert entre provinces et entre différents échelons administratifs à l’intérieur d’une même province. Les enseignements tirés de leur étude de terrain et de différentes régressions montrent qu’il y a bien une égalisation des dépenses budgétaires grâce à des transferts massifs de revenus entre provinces ou à l’intérieur d’une même province. La province du Shandong par exemple, n’a dépensé que 59 % de ses ressources disponibles, redistribuant vers le haut (gouvernement central) et vers le bas, 41 % de ses ressources fiscales. De la même manière, les impôts levés au niveau des bourgs et des villages remontent parfois en proportion importante vers les districts. Aussi, d’une manière générale, il est normal de retrouver au niveau global une dispersion moins élevée entre les différentes provinces et les différents échelons administratifs en ce qui concerne les dépenses qu’en ce qui concerne les revenus fiscaux. Les capacités de revenus fiscaux sont fortement différenciées et seuls les transferts peuvent permettre de tendre vers une égalisation des dépenses budgétaires. Cependant, les auteurs posent deux bémols importants : d’une part, ils constatent que l’égalisation est de moins en moins perceptible, ou, dit d’une autre manière, que les sommes transférées aux différents échelons administratifs représentent une part de plus en plus faible des revenus fiscaux, surtout à partir de 1988 (p. 292). Ces résultats confirment donc ce qu’on savait assez bien au niveau national, à savoir qu’une part de plus en plus faible des revenus fiscaux des provinces est remise au centre. La part des transferts dans les revenus fiscaux des provinces excédentaires et des grandes villes au budget autonome (jihua danlie chengshi qui sont au nombre de 9 depuis 1993) est passée de 31 % en 1986 à 22 % en 1993. D’autre part, parmi les différentes méthodes de transferts, celle fondée sur les quotas forfaitaires négociés entre les différents échelons administratifs apparaît comme la plus efficace car elle permet de répondre aux véritables besoins des gouvernements. Cependant, leur part dans le total des revenus transférés est en diminution. En revanche, les subventions ont des effets contraires à leur intention initiale, en ce sens qu’elles ne conduisent pas à une égalisation des dépenses. Les subventions bénéficient plus aux provinces et aux localités les plus riches. L’explication fournie par les auteurs repose sur le fait que les subventions servent à garantir la stabilité des prix et qu’elles bénéficient de ce fait aux régions les plus urbanisées. Les transferts sont donc au fil des années de moins en moins capables de garantir une égalisation des dépenses par tête. A fortiori, les transferts manquent de transparence et sont définis souvent sous une forme ad hoc qui ne permet pas véritablement de répondre aux besoins des différents gouvernements.

La deuxième source des disparités selon les auteurs repose sur la croissance des fonds extrabudgétaires et des autres fonds non inclus dans le budget, lesquels sont à la discrétion des gouvernements locaux. Ce phénomène a été analysé depuis longtemps dans les études sur l’économie chinoise, notamment sur le contrôle de l’investissement et les désordres créés sur le plan des structures industrielles (absence d’économies d’échelle, compartimentation provinciale de l’appareil de production). Ici, les auteurs ont cherché à analyser les conséquences sur le plan du financement public local. Si ces revenus non budgétisés ont sans aucun doute permis aux gouvernements locaux d’augmenter leur capacité de dépenses, tous n’ont pas la même aptitude à lever ce type de fonds. En effet, ceux-ci sont directement liés à l’importance des activités industrielles (essentiellement des impôts levés sur les entreprises). Aussi, plus les localités sont riches, plus les gouvernements locaux sont capables de générer ce type de revenus. Cependant, ces revenus non budgétisés échappent au contrôle des échelons administratifs supérieurs et a fortiori, à toute politique de redistribution définie par le gouvernement central. Les localités les moins industrialisées sont donc placées devant un double désavantage : un accès plus restreint aux revenus non budgétisés, et pour les raisons indiquées dans le paragraphe précédent, des transferts de revenus fiscaux d’autres échelons administratifs qui diminuent avec le temps. Les régions pauvres ont ainsi tendance à imposer pour leur propre survie des taxes très impopulaires qui, sur le moyen terme, pourraient avoir un coût politique pour les autorités chinoises.

La grande force de cet ouvrage est donc de mettre en lumière les mécanismes fiscaux qui contribuent à créer ces « spirales » de déséquilibres en matière de dépenses budgétaires sur le territoire chinois. Ces phénomènes perpétuent en fait des déséquilibres qui, avant le lancement de la réforme en 1978, correspondaient à des choix de politique économique délibérés et liés au système d’économie planifiée : le monde rural devait financer le développement industriel dans les zones urbaines et ne rien demander au monde urbain sur le plan de la fiscalité. Qui plus est, dans les villes, l’urbanisation et les services étaient liés aux entreprises industrielles qui assuraient la protection sociale, le logement, parfois l’éducation et prenaient en charge l’industrialisation. Dans le contexte d’une économie en transition comme en Chine, on mesure ainsi toute l’étendue du chantier de la réforme fiscale.

Les auteurs terminent leur ouvrage sur une série de recommandations très pertinentes, parmi lesquelles la nécessité pour le gouvernement central de définir des minimums sociaux en matière d’éducation, de protection de la santé et d’urbanisation, que toutes les localités devraient au moins atteindre. Les localités les plus riches seraient libres d’aller au-delà de ces minimums sociaux, mais les provinces les plus pauvres devraient avoir accès à des mécanismes de transferts de revenus fiscaux leur permettant de garantir ces minimums. Les auteurs affirment qu’il y a nécessité de clarifier et de mieux répartir les compétences en matière de dépenses dans la hiérarchie administrative de l’Etat. Ils insistent également pour une profonde réforme des procédures de transferts de revenus fiscaux entre les localités pauvres et celles plus riches. Ceci implique bien évidemment de budgétiser les fonds extra-budgétaires et les autres sources de revenus qui sont encore à la discrétion des gouvernements locaux, afin de les intégrer dans le système de transfert des revenus fiscaux. Les réformes de 1994 constituent un premier pas selon les auteurs pour résoudre les déséquilibres structurels du système fiscal chinois. Mais elles se sont limitées à rationaliser les rapports entre le gouvernement central et les gouvernements provinciaux. La réforme n’a selon eux pas encore atteint les échelons administratifs inférieurs aux gouvernements provinciaux.

Peu de critiques finalement sont à apporter sur l’ouvrage. On regrettera parfois quelques descriptions un peu stériles de structures de revenus ou de dépenses de gouvernements locaux que les auteurs cherchent à comparer. Ceux-ci semblent reconnaître eux-mêmes (p. 148) par leur vocabulaire, qu’ils ignorent le contenu de certains postes de dépenses ou des causes de leur évolution, rendant les comparaisons sans grand intérêt. Sur le fond, on aurait également aimé voir certains points traités avec un peu plus de profondeur. Le lien avec la réforme des entreprises d’Etat, par exemple, n’est abordé que de manière superficielle. Les gouvernements locaux et les entreprises d’Etat entretiennent cependant des liens insécables sur le plan du financement local en matière de logement, d’éducation, et surtout de protection sociale. C’est en fait toute une refonte de l’organisation économique urbaine qui est au centre des débats avec la réforme des entreprises d’Etat. Les entreprises doivent certes se désengager de ces services et passer le relais de la gestion aux gouvernements locaux comme le préconisent les auteurs dans leurs recommandations (p. 318), mais ce désengagement est loin d’être une procédure linéaire et rapide comme le démontrent l’expérience chinoise ainsi que celles des autres anciens pays socialistes. L’ouvrage affichant dans son introduction une volonté comparatiste avec les expériences menées dans d’autres pays, on aurait aimé avoir un peu plus de détails sur cet aspect. Dans le prolongement de ce débat, la question fiscale touche immanquablement celle de l’équité sociale. Il s’agit de savoir quelle répartition doit être adoptée entre les différentes catégories sociales dans le financement du budget, de la protection sociale, quel type de contrôle la population détient sur la gestion du système fiscal et sur les grandes décisions en matière de politique fiscale. A aucun moment on ne trouve dans l’ouvrage trace de ce débat, ni dans les analyses des déficiences du système fiscal, ni dans les recommandations en matière de réforme en conclusion du livre. On regrettera donc l’absence totale d’une analyse sur les liens entre les finances publiques et la démocratie, qui constitue pourtant, qu’on le veuille ou non, dans les pays industrialisés comme dans ceux en voie de développement, un des aspects les plus importants dont dépend le développement économique et social d’un pays.

Malgré ces quelques critiques, on a affaire à un livre très riche qui couvre pratiquement tous les aspects des finances locales chinoises. On ne peut que souhaiter que les recommandations en matière de réforme du système fiscal local soient entendues par les autorités chinoises qui négocient actuellement un virage difficile dans la poursuite des réformes économiques.