BOOK REVIEWS

James D.Seymour et Richard Anderson: New Ghosts, Old Ghosts: Prisons and Labor Reform Camps in China

by  Nicolas Becquelin /

Les études sur le système pénitentiaire chinois de «réforme par le travail» (laogai), souvent comparé au goulag soviétique, souffraient jusqu’à présent d’un manque de précision et de fiabilité. James Seymour et Richard Anderson ont pourtant réussi à produire un livre exemplaire sur cette question grave et particulièrement controversée, soigneusement maintenue confidentielle par les autorités. Car très peu était finalement connu sur le nombre de prisonniers et de camps de travail en Chine, ainsi que sur le rôle de ce système dans l’économie nationale, et cela même alors que la question des droits de l’homme est aujourd’hui devenue un élément essentiel des relations diplomatiques entre la Chine et les Etats-Unis.

Fondé sur l’analyse de documents internes, ainsi que sur des entretiens avec d’anciens prisonniers et du personnel judiciaire (dont un ancien juge du Xinjiang), New Ghosts, Old Ghosts est un modèle de rigueur et de sérieux, argumenté d’une manière irréprochable. Plus de 400 références regroupées dans les notes à la fin de l’ouvrage, de copieuses annexes et une bibliographie complète (avec une majorité d’ouvrages chinois) attestent de la précision des éléments avancés par les auteurs, tout en conservant une grande clarté à la lecture. L’actualité des sources est remarquable, puisqu’il s’agit dans la plus grande partie de sources des années 1990, les données prises en compte ne s’arrêtant qu’en 1997.

L’ouvrage repose sur l’étude des trois provinces majeures du laogai chinois : le Gansu, le Xinjiang et le Qinghai. Il ne s’agit pas d’une description des conditions de détention, d’un recueil de cas, ou de pondération des diverses estimations chiffrées, mais bien d’une véritable analyse en profondeur de la structure des institutions carcérales, de l’administration du laogai, de son rôle économique. Des cartes exposent la localisation précise des camps (un secret pourtant particulièrement bien gardé par les autorités), des tableaux compilent les données sur le nombre de condamnations, les chiffres de la population carcérale, des statistiques montrent les volumes de production sortant des fermes de travail forcé. Bref, comme l’annoncent les auteurs, «il s’agit d’une étude strictement empirique» (p. 9). Ces derniers fournissent d’ailleurs des chiffres très précis sur la population du laogai du nord-ouest chinois, répartis dans 1 249 camps : on compterait 33 000 prisonniers au Gansu (p. 42), 85 000 au Xinjiang (p. 116), et 23 000 au Qinghai (p. 174).

Le chapitre sur le Xinjiang est le plus développé (80 pages contre respectivement 12 et 50 pour le Gansu et le Qinghai) et expose en profondeur le double système de détention qui prévaut dans la province : l’un dépend du Département de la justice, et l’autre des bingtuan (les fermes agricoles paramilitaires — mais indépendantes de l’armée [p. 51]), dont certains comportent des camps de prisonniers. Les prisonniers politiques, Ouighours en particulier, sont eux maintenus dans les prisons, afin de ne pas «contaminer» les prisonniers en voie de réforme (p. 122).

La question de la production économique des camps de laogai est traitée séparément pour les trois provinces : les auteurs démontrent que non seulement le laogai est largement improductif (moins de 0,1% de la production régionale au Gansu (p. 43) et au Xinjiang (p.105), mais il ne parvient même pas à assurer l’autosuffisance du système. «La question centrale de l’économie du laogai est d’avoir assez à manger» (p. 96). Cela ne veut pas dire pour autant que les prisonniers ne travaillent pas, bien au contraire. Au Xinjiang en particulier, les journées sont de 15 heures en été, sept jour sur sept. Les conditions de travail dans les mines (y compris les mines d’uranium) sont effroyables. Les violences physiques, la corruption des gardes, la nourriture insuffisante, les conditions climatiques éprouvantes (au dessus de 40° en été, moins de 30° en hiver) en font un enfer quotidien.

Au regard des conclusions de James Seymour et Richard Anderson, on s’aperçoit vite que les affirmations du principal détracteur du laogai, le célèbre dissident Harry Wu qui instruit le procès à charge de la Chine sur la scène politique américaine, apparaissent largement fantaisistes et exagérées. Le nombre total de prisonniers s’élèverait aux alentours de 2 millions, alors que Harry Wu parle de 6 à 8 millions de personnes, le chiffre officiel des autorités chinoises étant 1,3 million. Ancien responsable d’Amnesty International, James Seymour est pourtant peu soupçonnable de bienveillance envers le régime chinois, et le portrait qu’il trace du système pénitentiaire (éducation quasi absente, important taux de récidive, corruption institutionnalisée…) va droit à l’encontre des résultats proclamés par la propagande du régime. Et les auteurs de rappeler qu’ils ne cherchent «ni à plaire ni à offenser, mais à informer et à établir la vérité» (p. 10).

Les grands traits de la population des camps de laogai du nord-ouest chinois qui sont dégagés offrent l’image d’une institution qui n’a plus grand rapport avec celle des années maoïstes, mais qui reste excessivement brutale. Constitués pour moitié des prisonniers de la région et pour moitié des prisonniers transférés d’autres régions, les camps regroupent presque exclusivement des prisonniers de droit commun (p. 56), travaillant dans des fermes agricole (p. 103). A la fin de leur peine, ils sont devenus libres de quitter la province, même si le manque d’alternatives (absence de permis de résidence, de travail ou de famille) conduit toujours la moitié des prisonniers libérés à rester travailler dans ou pour leur camp d’origine (liuchang jiuye) (p. 196).

Ce qui fait donc la particularité du système carcéral chinois, concluent les auteurs, ce n’est ni sa taille, ni son rôle économique, mais bien l’iniquité des procédures qui y conduisent les condamnés (arbitraire des juges, absence de conseil légal, déséquilibre des peines), et la dureté des conditions de détention (travail forcé, alimentation insuffisante, corruption généralisée du système, violences physiques et torture) (p. 233).

En définitive, la seule limite de cet ouvrage est celle que les auteurs se sont fixées eux-mêmes : ne traiter que des provinces du nord-ouest. Car la précision des informations présentées sur ces trois province permet de mesurer l’étendue de notre ignorance sur la situation dans le reste de la Chine. New Ghosts, Old Ghosts est désormais l’ouvrage de référence indispensable sur le laogai chinois.