BOOK REVIEWS

Eric Kit-wai Ma : Culture, Politics, and Television in Hong Kong

Plusieurs ouvrages récents consacrés à Hong Kong ont identifié avec précision les principaux facteurs qui ont fait des années 1970 le point d’émergence d’une véritable identité hongkongaise : séparation prolongée du territoire avec la Chine, arrivée à l’âge adulte d’une génération née dans la colonie, bienfaits du boom économique, tentative du gouvernement de « socialiser » la population au lendemain des émeutes de 1967, etc. Dans Culture, Politics, and Television, Eric Ma Kit-wai, maître de conférences au département de communication de l’Université chinoise de Hong Kong, se propose d’analyser le rôle joué par la télévision, introduite à Hong Kong seulement en 1967, dans la formation et la préservation de cette identité.

Après une première partie introductive dressant le cadre théorique de son étude, c’est-à-dire la relation entre les « idéologies télévisuelles » — les idées véhiculées par la télévision (television ideologies) — et les identités culturelles, l’auteur consacre les deux chapitres suivants de l’ouvrage à une analyse socio-historique du rôle joué par la télévision dans la construction d’une identité à deux périodes importantes de l’histoire récente du territoire : les années 1970 et les années 1990. Eric Ma s’attache à montrer que l’influence de la télévision sur l’identité culturelle d’une population ne va pas de soi et demeure généralement très réduite si elle est imposée par le haut. Selon lui, au contraire, elle dépend en grande partie du contexte politique, social, culturel et économique, et particulièrement de l’interaction des diverses forces sociales à un moment donné.

L’auteur montre bien comment la télévision des années 1970, largement livrée à elle-même (pas d’ingérence politique, peu de concurrence, gros excédents budgétaires), est devenue peu à peu le berceau d’une nouvelle culture locale en fournissant à la nouvelle génération née à Hong Kong un ensemble de repères que le régime colonial en général et le système éducatif en particulier n’avaient pas souhaité lui procurer. Aussi, pour l’auteur, les années 1970 se caractérisent-elles clairement par une « désinisation » du territoire et de ses habitants. Les références essentiellement chinoises qui dominaient les médias de l’après-guerre ont peu à peu laissé place à un cadre purement local, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance de la population au territoire. Par ailleurs, après avoir rappelé que toute construction d’une identité passe par l’exclusion d’un autre groupe (la différence entre eux et nous), Eric Ma souligne l’impact que l’arrivée dans la colonie de centaines de milliers d’immigrants chinois au lendemain de la Révolution culturelle a eu sur la consolidation de l’identité hongkongaise, et analyse comment le ressentiment et les préjugés de la population locale ont été à la fois projetés sur le petit écran et renforcés par les émissions de l’époque.

Par opposition, l’auteur présente les années 1990 comme une période de « resinisation », phénomène provoqué à la fois par l’ouverture de la Chine et l’échéance du retour du territoire à la mère patrie en 1997. La télévision opère désormais dans un environnement plus compétitif et plus régional et, comme les autres médias, ne peut ignorer ni ses propres intérêts en Chine ni ceux des annonceurs. Selon Ma, cette décennie se caractérise par la réinvention et la redécouverte des liens historiques et culturels oubliés entre Hong Kong et la Chine. Aussi, alors que les catégories identitaires se restructurent dans ce nouveau contexte, la ligne distincte qui séparait Hongkongais et Continentaux dans les années 1970 devient-elle de plus en plus brouillée et le rôle de la télévision dans la préservation de l’identité hongkongaise de plus en plus problématique.

L’ouvrage repose en grande partie sur une analyse approfondie (détaillée dans les chapitres 4 à 6) des scripts de plusieurs séries télévisées, sur les résultats d’enquêtes menées auprès de téléspectateurs et sur des entretiens avec les responsables des principales sociétés de production (chapitre 7). L’auteur se penche tout particulièrement sur un mélodrame diffusé dans les années 1970, The Good, the Bad and the Ugly, qui explore, à travers le personnage d’Ah Chian, les difficultés d’adaptation d’un jeune immigré du Continent dans une société moderne et son interaction avec les Hongkongais. Par ailleurs, Eric Ma montre comment, par exemple, la série Great Times et le documentaire Hong Kong Legend, diffusés dans les années 1990, se prêtent à une lecture polysémique et reflètent le déplacement des catégories identitaires au cours de cette période.

Culture, Politics and Television in Hong Kong n’est pas uniquement le premier ouvrage à traiter in fine du rôle de la télévision dans la construction de l’identité hongkongaise. Ce livre offre une réflexion théorique plus générale mais néanmoins très stimulante sur la manière dont les discours et des « idéologies télévisuelles » interagissent avec la société (chapitre 8). Il sera donc d’un intérêt certain pour ceux qui s’intéressent à l’évolution sociale de Hong Kong depuis 30 ans comme pour les spécialistes des médias. Tous apprécieront à n’en point douter la riche bibliographie qui clôt l’ouvrage.