BOOK REVIEWS
Terry Cannon éd., China's Economic growth: The Impact on Regions, Migration and the Environment
Ecrit principalement par des géographes, mais aussi par des politistes et des économistes, cet ouvrage sattache à lanalyse de lévolution des attitudes des groupes sociaux et des institutions tout au long du processus de réforme et cherche à en repérer la traduction spatiale. Il est divisé en trois parties : les réformes et les processus démographiques ; 2. La croissance et lenvironnement ; 3. Lérosion des sols en Chine. Cette dernière partie est fondée sur létude de trois régions : Chine du sud, du sud-ouest et cours supérieur du fleuve Bleu. Abondamment illustré (cartes et photos), louvrage est également pourvu dun index.
Plusieurs questions transversales courent au fil des différents chapitres : linsertion des migrants et leur comportement démographique, les relations des gouvernements locaux avec leur hiérarchie administrative et la dégradation de lenvironnement. Les chapitres sur les migrations internes sont sans doutes parmi les plus originaux de ce volume. Si les migrants font peser des charges sur le gouvernement (logement transport, services sociaux, santé), leur présence en ville permet aussi de couvrir des postes de travail dans les secteurs souvent pénibles ou mal payés et suscite à la fois consommation et épargne. Les migrants sont en effet à lorigine dimportants mouvements de capitaux des villes vers les campagnes. Ce sont dailleurs à lheure actuelle les seuls transferts privés que lon note en direction des provinces centrales et occidentales. Les migrations internes permettent enfin aux gouvernements de légitimer répression et contrôle social. La question de labolition du hukou évoquée par certaines provinces et celle de louverture dun véritable marché du travail auraient méritées dêtre abordées ici.
Un panorama très complet est donné des problèmes affectant la construction du barrage des Trois gorges : effets dévastateurs sur lenvironnement, vulnérabilité pesant en cas de conflit sur les cours moyens et inférieurs du Yangzi, pour ne rien dire de la rentabilité économique du projet qui reste à tout le moins discutable. Au delà des prétentions affichées résultats spectaculaires en matière de production énergétique et de contrôle des crues, ce projet pharaonique ne constitue-t-il pas là encore lillustration éclatante de la faiblesse de la logique du marché et du poids de celle de « léchiquier » : le pays entier est un gigantesque damier sur lequel ladministration centrale déplace en fonction de ses caprices ou de ses intérêts main-duvre et capitaux ? Le projet est aussi loccasion pour le gouvernement central de réaffirmer son autorité sur les échelons locaux, comme en témoigne lélévation de Chongqing au rang de municipalité relevant directement du gouvernement central, afin de diviser le Sichuan et venir à bout des résistances de la région de la capitale du cours supérieur du fleuve Bleu.
Le reproche essentiel que lon pourrait faire à louvrage est de donner de la croissance chinoise une vision trop optimiste. Il nest plus possible de se contenter des chiffres donnés par les services statistiques chinois sans recul critique. Trop de doutes sont émis par nombre de chercheurs et par la presse chinoise pour quon puisse les passer sous silence. Si les risques pris par les acteurs sont assurément plus grands, quen est-il de leur responsabilité économique ou financière ? Par quels mécanismes se font laccès au capital, la formation des prix et la constitution de marchés ?
De même, le rôle développeur de « lEtat local » reçoit, dans la lignée des études de Jean Oi, une sanction exagérément positive. Ici encore, un recul critique aurait été bienvenu. Où a-t-on la preuve que lEtat local est moins prévaricateur, moins corrompu, moins clientéliste, plus respectueux de la loi et capable de la faire respecter que lEtat central ? Les chapitres sur la question de la pollution montrent dailleurs que les autorités locales sont à la fois juges (membres des agences de protection de lenvironnement) et parties (gestionnaires des entreprises placées sous leur contrôle), et que le niveau des amendes reste de toutes façons très inférieur à celui du coût du traitement des effluents. En quoi cette juxtaposition de satrapies, qui déchaîne à loisir depuis plusieurs années un véritable warlordism économique, une économie de fief (zhuhou jingji), serait-elle propice au développement à long terme ? Un tel optimisme découle dune grave sous-estimation de la résilience de léconomie de commande. Ne mentionnons que le protectionnisme local par exemple, inscrit dès les années 50 dans le découpage administratif des districts, létablissement de leur système industriel tendu vers lautarcie et leur mainmise sourcilleuse sur les ressources fiscales.
Le volume édité par Terry Cannon met cependant en lumière, dans leur ambiguïté, des mécanismes fondamentaux de léconomie politique du socialisme en Chine et traite de façon claire et précise de limpact sur lenvironnement dune croissance industrielle encore très extensive.