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Les évolutions récentes de l’emploi à Shanghai
Tout au long du processus de transition économique en Chine, l'emploi a été et demeure encore aujourd'hui une question sociale et économique très complexe. Particulièrement dans la ville de Shanghai où l'économie est l'une des plus développées en Chine : la question de l'emploi y est non seulement réelle mais son traitement pourrait également se généraliser à l'ensemble de la Chine. Le problème de l'emploi est moins grave à Shanghai qu'ailleurs, parce que la croissance économique y est une des plus rapides de Chine et que les investissements étrangers y sont très importants. Cependant, le gouvernement municipal de Shanghai représente une sorte d'archétype de l'interventionnisme administratif sur le marché de la main d'uvre et, en raison de l'assez haut niveau de développement économique de la ville, la situation actuelle de l'emploi pourrait bien y constituer une tendance pour l'ensemble de la Chine, pour ne pas dire un cas d'école pour la compréhension de cette question à l'échelle du pays.
En Chine, la situation du marché de la main d'uvre a été historiquement divisée entre les villes et les campagnes. Dans la campagne, après le début des réformes et en raison de la détention du droit d'utilisation de la terre par les paysans, le sous-emploi des paysans signifiait que l'emploi n'y était pas suffisant ou encore constituait une forme de chômage caché. La terre est chez les paysans source de vie et de sécurité, l'insuffisance de l'emploi paysan montre que le partage du travail et le revenu moyen par personne ont un niveau plus bas qu'ailleurs. Par comparaison, les chômeurs urbains ne peuvent que dépendre des allocations de l'Etat pour vivre. Ainsi, les économistes et les gouvernements locaux en Chine sont plus sensibles à la question du chômage urbain. A Shanghai, la question de l'emploi urbain est apparue plus clairement parce que l'économie rurale est comparativement plus développée et la reconversion de la main d'uvre rurale excédentaire dans le secteur moderne est fondamentalement achevée. Dans le cadre de cet article, nous nous limiterons aux questions de l'emploi et du chômage dans les districts urbains de la ville de Shanghai (1).
Complexité de la situation de l'emploi et du chômage au cours de la période de transition
Trois caractéristiques marquent l'évolution du taux de chômage à Shanghai depuis 1985. Premièrement, le taux de chômage est allé croissant au cours des quinze dernières années. Avant 1992, le nombre de chômeurs enregistrés à Shanghai était peu important, inférieur à 100 000 personnes, soit moins de 2%. A partir de l'année 1993, le taux a rapidement augmenté : fin 1994, le nombre de chômeurs atteignait 148 500 personnes, fin 1999, 174 700, et fin juin 2000, 187 000 (2). Deuxièmement, le taux de chômage n'a pas connu d'envolée brutale, en dehors d'une seule année (1996). Troisièmement, d'après les statistiques officielles, le taux de chômage de Shanghai n'est pas élevé en termes absolus. Il n'était, en 1999, que de 3,1 % (voir graphique 1). Ces trois éléments sont révélateurs de la transition de l'économie chinoise. Ils s'expliquent largement par la réforme du système de l'emploi en Chine qui a commencé dans les années 1980, années caractérisées par un taux de chômage urbain particulièrement bas. A cette époque, les seuls chômeurs urbains étaient presque exclusivement constitués de diplômés. Le travail des employés et des ouvriers était garanti à vie : personne ne craignait le chômage. Après la réforme du système de l'emploi, l'accumulation d'une grande quantité de chômeurs cachés à l'intérieur des entreprises du secteur planifié est devenue manifeste et de fait, le taux de chômage a augmenté (3). Ainsi, la transition a impliqué l'accroissement du taux de chômage et ce, curieusement, sans rapport avec les variations macro-économiques de l'économie (4).
Graphique 1 Evolution du taux de chômage à Shanghai (1985-2001)

Ceux qui connaissent bien l'économie chinoise savent que le taux de chômage réel n'est pas aussi faible que celui qui apparaît dans les statistiques. En réalité, il ne suffit pas de considérer les statistiques, parce que celles-ci ne comprennent que les chômeurs enregistrés, c'est-à-dire ceux qui ont qualité à s'inscrire comme chômeur et à recevoir une allocation auprès des services agréés du gouvernement, à savoir à Shanghai, uniquement ceux qui possèdent le permis de résidence de la ville. Mais, si le chômage se définit comme « ressource en main d'uvre inutilisée », il prend en Chine au moins deux formes : le chômage reconnu comprenant les chômeurs enregistrés comme tels et les chômeurs cachés qui ne sont pas enregistrés. Parmi ces derniers, il y en a de deux sortes : les licenciés du secteur public appelés xiagang et les chômeurs cachés qui ont un poste. Les xiagang représentent un phénomène de l'emploi spécifique à la Chine qui est apparu dans les années 1990. Ce groupe est constitué par les employés et les ouvriers des entreprises qui, en perdant leur poste (xiagang), ont perdu le rapport au travail avec leur entreprise, mais bénéficient encore de la sécurité sociale de leur unité de travail, la danwei (5). Shanghai a été la première ville, en 1996, à créer un « centre du service de réemploi », où seuls ceux qui étaient inscrits à ce centre pouvaient recevoir la dénomination de xiagang. Ceux-ci étaient contrôlés dans l'entreprise à l'intérieur d'un domaine extrêmement limité. Les chiffres du tableau 1 montrent que depuis 1991, l'amplitude de la réforme du système de l'emploi s'est, dans une certaine mesure, élargie mais que grâce aux mesures gouvernementales de réemploi, le travail de reclassement des xiagang a connu un certain succès. A la fin des années 1996 et 1997, le nombre cumulé des xiagang atteignait 200 000. Mais au cours des dernières années, le total cumulé des xiagang de Shanghai s'est infléchi. La taille des centres de service de réemploi de Shanghai a décru et, dans certains secteurs où ils avaient achevé leur mission, ces centres ont même été supprimés. Les chiffres font apparaître qu'à la fin 1999, le nombre cumulé de xiagang shanghaiens s'élevait à 147 000 personnes, chiffre un peu inférieur à celui des chômeurs recensés à la fin de la même année. Selon nos estimations, le taux de chômage à Shanghai, comprenant les chômeurs recensés et les xiagang, se rapproche des 7%. Concernant les « chômeurs cachés » en poste dans les entreprises d'Etat, le chiffre est difficile à évaluer mais on estime que la main d'uvre inutilisée serait plus nombreuse dans les entreprises d'État en bonne santé plutôt que dans les entreprises d'État ou collectives qui enregistrent des pertes ou sont en difficulté car les sans-emploi des entreprises publiques déficitaires ont été reclassés depuis déjà plusieurs années. La question des chômeurs cachés n'a donc pas encore fait l'objet d'une analyse complète.
Tableau 1 Situation des employés et des ouvriers licenciés du secteur public (1991-1999)

Unité : individu.
* Le plan de référence est évalué
sur la base du nombre cumulé de xiagang à
la fin de lannée précédente et
le nombre de xiagang de lannée. Source
: bureau de la sécurité sociale et du travail
de la municipalité de Shanghai.
Après avoir inclus le nombre des xiagang dans la catégorie des chômeurs, le problème du chômage à Shanghai aurait pu apparaître plus grave. Mais il faut se demander pourquoi le chômage ne semble pas constituer un problème social dans la ville. En fait, pour une ville dont le taux de croissance dépasse 10 %, il est parfaitement plausible d'imaginer qu'il y a beaucoup d'emplois créés chaque année. Tout au long de la période de transition économique, le phénomène de « l'emploi caché » a traduit le fait que parmi les chômeurs enregistrés et les xiagang, de très nombreuses personnes avaient tout de même un travail rémunéré. Ce travail constitue en réalité une partie de l'emploi. Mais ces chômeurs enregistrés et ces xiagang qui reçoivent du gouvernement une indemnité, sont compris dans les statistiques. Les raisons du phénomène de « l'emploi caché » sont très complexes, la principale étant économique. Si la possibilité de se cacher existe, les personnes qui bénéficient de ces emplois cachés n'ont pas besoin et souvent intérêt de faire reconnaître la réalité de leur emploi. Ainsi, ils peuvent recevoir l'allocation chômage (ou celle destinée aux xiagang) et bénéficier de l'assurance maladie dans le système d'assurance chômage (ou de l'unité de travail d'origine pour les xiagang). D'un autre point de vue, le travail rémunéré auquel se livrent les « employés cachés » n'est pas stable et, souvent, ces employés n'ont pas de véritable contrat de travail avec la danwei qui les emploie (6). Quoi qu'il en soit, l'existence de cet emploi caché se traduit dans les chiffres par une grave surestimation du chômage ; des enquêtes chiffrées à petite échelle ont fait apparaître que l'emploi caché concernait 50 à 65 % des chômeurs et des xiagang (7).
Il est souvent dit que les statistiques du taux de chômage urbain ne tiennent pas compte de la population migrante et, en particulier, des immigrants de la campagne (mingong). Il est pourtant évident que le problème du chômage se pose aussi pour la main d'uvre extérieure à la ville. Ainsi, les statistiques actuelles ne reflètent pas parfaitement la situation du chômage. Mais si les chiffres incluaient la main d'uvre extérieure à la ville, le chômage serait-il plus élevé ? Actuellement, il est difficile de dire que le chômage urbain est moins important que celui de la main d'uvre extérieure. D'après une enquête par échantillon, les services concernés de la municipalité de Shanghai ont recensé plus de 1,3 million de personnes venues de l'extérieur dans les secteurs des services, du commerce et de l'industrie. Parmi ceux-ci, les unités de travail emploient 300 000 ouvriers « migrants », les chantiers de construction 500 000, les activités de services ou d'économie collective environ 400 000, les secteurs annexes de la production agricole, des forêts et de l'élevage, environ 100 000. En complément, on estime que 150 à 160 000 immigrés travaillent dans des services sociaux de la collectivité qui ne sont pas rattachés aux services de la municipalité. (8) Les chiffres communiqués ci-dessus concernent le volume de la main d'uvre de l'extérieur qui a déjà un emploi les chiffres de cette même main d'uvre sans emploi sont indisponibles. Pourtant, la rapide croissance de l'économie shanghaienne laisse une marge importante à la création d'emploi pour la main d'uvre extérieure. En outre, les travaux effectués par les « migrants » et ceux effectués par les shanghaiens sont complémentaires. Dans ces circonstances, il est permis de penser que le problème du chômage de la main d'uvre extérieure n'est pas si grave. Ainsi l'emploi « caché » d'une partie des chômeurs et celui des migrants contribuent à une réduction du taux de chômage à Shanghai.
Tendances de l'emploi par rapport à l'offreet à la demande en main d'uvre
Par comparaison avec d'autres villes de Chine, l'emploi ne constitue pas encore à Shanghai un sérieux problème social. Essayons d'estimer les perspectives de l'emploi en considérant d'abord les tendances de l'évolution de l'offre et de la demande de travail au cours des dernières années.
Pour ceux qui sont astreints au système du permis de résidence, le marché du travail en Chine reste actuellement divisé. Ainsi, à Shanghai, le marché du travail est limité à l'offre de main d'uvre originaire de Shanghai même. Le premier facteur qui influence ce marché est la lenteur de la croissance de la population de la ville. Depuis la mise en application de la politique du contrôle des naissances, le taux d'accroissement naturel de la population de Shanghai est extrêmement bas. Il est devenu négatif en 1993 et cette tendance s'est poursuivie par la suite (9). En même temps, le solde migratoire ou « taux de croissance mécanique » (différence entre le taux de la population immigrante et émigrante) est resté stable. Le niveau du solde migratoire de la population a été maintenu depuis 1993 à 5. Pour la population de Shanghai, cela s'est traduit par le maintien d'un très bas niveau de croissance (voir graphique 2).
Graphique 2 Taux de croissance naturelle et du solde migratoire (1978-1999)

La croissance de l'offre en main d'uvre est également influencée par le taux d'activité. Depuis la réforme, le taux d'activité de l'ensemble de la Chine a eu tendance à baisser, essentiellement à cause de la transition. Le système d'emploi planifié traditionnel ignore les différences de revenu entre les personnes parce que ceux qui sont en mesure de travailler doivent avoir un travail et recevoir en échange un traitement correspondant en prestations sociales. Dans ce système, le taux d'activité a fait apparaître en Chine tout comme dans d'autres pays à économie planifiée des traits distinctifs. Après la réforme, la différence de revenus s'est accrue et le système de prestations sociales lié de manière constante à l'employeur a dû être réformé. Cela a permis à une petite partie des personnes qui ne voulaient pas être réemployées de se retirer du marché du travail. Par ailleurs, dans le système traditionnel, l'emploi dans les villes et les districts de Chine se concentrait de manière déséquilibrée dans le secteur secondaire, en particulier dans l'industrie lourde, alors que le développement n'est pas suffisant dans le secteur tertiaire et l'industrie légère. Après la réforme et l'ajustement de la structure économique, certains secteurs économiques nouvellement créés n'ont pu absorber complètement la main d'uvre excédentaire des secteurs traditionnels, en particulier certains secteurs à croissance rapide (finances et commerce entre autres) n'ont pas joué un grand rôle dans l'absorption de la main d'uvre excédentaire. De fait, la main d'uvre excédentaire des secteurs traditionnels n'a pas pu retrouver de postes et a dû, volontairement ou non, se retirer du marché de l'emploi. Le développement de l'éducation (universitaire, en particulier) a constitué un autre facteur important de la baisse du taux d'activité parce que les jeunes qui reçoivent une véritable éducation supérieure ne sont pas comptabilisés dans la population active (10). A Shanghai, la tendance à la baisse du taux d'activité de la population depuis le lancement des réformes n'est pas aussi sensible que dans le reste de la Chine (11). En effet, le développement de l'enseignement universitaire depuis les années 1990 y est très rapide et le taux des jeunes qui font des études supérieures y est un des plus élevés de Chine. Le nombre d'étudiants à Shanghai a augmenté d'environ 10 000 personnes par an en moyenne, et cette tendance a nécessairement contribué à abaisser le taux d'activité des jeunes.
Alors que la croissance de l'offre en main d'uvre était plus faible, la croissance rapide de l'économie shanghaienne a permis de créer de nombreux emplois et de fait, d'alléger la pression sur l'emploi. Concrètement, la croissance de la demande en main d'uvre peut s'expliquer en trois points.
Premièrement, les entreprises sont encore les principales sources de création d'emploi. Le taux d'utilisation des ressources en main d'uvre, la qualité de l'emploi des entreprises collectives et des entreprises d'État augmentent ainsi que la proportion et le nombre total d'emplois du secteur privé. Dans les entreprises d'Etat et collectives, on constatait, avant les réformes, une accumulation de chômeurs cachés. Après les réformes, les nouveaux postes ont été d'abord occupés par ces chômeurs cachés, augmentant ainsi le taux d'utilité des ressources en main d'uvre. Après 1992, avec l'accélération de la réforme du système de l'emploi, les entreprises collectives et d'Etat ont commencé à reclasser à grande échelle le personnel excédentaire de ces entreprises permettant, parallèlement, une diminution du nombre d'emplois de ces organismes. Mais ce passage du chômage caché au chômage apparent ne permet pas de penser que la demande en emplois réels dans les entreprises d'Etat et collectives a alors baissé (12). Par contraste avec les entreprises d'État et collectives, la capacité des autres entités économiques à attirer de l'emploi a cru très rapidement. Cela s'est manifesté concrètement de trois façons.
Premièrement, un nombre croissant de nouveaux emplois urbains a été créé par des entités non étatiques et non collectives. En 1999, les « autres entités économiques » ont fourni des emplois à plus de la moitié des nouveaux employés urbains (voir tableau 2). Le nombre des employés des entreprises d'Etat et collectives devenus chômeurs recensés a augmenté chaque année. Le total des employés devenus chômeurs a dépassé le celui des chômeurs devenus employés. Dans les autres entités économiques, le nombre de chômeurs devenus employés s'est accru plus rapidement que le nombre d'employés devenus chômeurs, même si ce chiffre a augmenté tous les ans. En 1999, on estime que seulement un cinquième des chômeurs a trouvé un emploi dans les entreprises d'Etat et collectives (voir tableau 3). Dans les années 1990, le nombre d'employés et d'ouvriers des entreprises d'Etat et collectives a baissé alors que ce nombre dans les autres entités a sensiblement augmenté : actuellement, ce nombre dépasse celui des entités économiques collectives (voir graphique 3).
Tableau 2 Evolution du nombre de personnes réemployées

Unité : individu.
Source : bureau de la sécurité sociale et du
travail de la municipalité de Shanghai.
Tableau 3 - Mobilité des salariés et des chômeurs (1995-1999)

Source : bureau de la sécurité sociale et du
travail de la municipalité de Shanghai.
Graphique 3 Répartition du nombre demployés selon le type dentreprise (1991-1999)

Deuxièmement, ces dernières années, à Shanghai, le nombre de travailleurs individuels a peu augmenté car « l'emploi informel » a constitué une issue importante pour le réemploi des chômeurs-xiagang de la ville. A partir de 1996, la conception introduite « d'emploi informel» a permis aux individus ou aux groupes de xiagang, d'effectuer un travail d'intérêt public dans les projets urbains d'amélioration de l'environnement, les services associatifs ou de quartiers. Ces entreprises d'utilité publique ont créé des postes temporaires ou ponctuels sous forme de travaux manuels familiaux ou d'ateliers artisanaux. Cette forme de travail n'a pas donné les moyens, même temporaires, d'établir une relation de travail stable. Le travail informel à Shanghai est passé principalement par le développement de groupes de travail informel. Jusqu'à la fin 1999, la ville entière en comptait 7 048, employant 71 072 personnes.
Troisièmement, la municipalité de Shanghai est devenue une force importante pour la création d'emplois. En maintenant, depuis les années 1990 une croissance assez rapide dans l'ensemble des branches de la construction, des infrastructures et de la préservation de l'espace urbain, la municipalité de Shanghai a certainement permis aux emplois de croître en parallèle. Par ailleurs, le gouvernement a procuré une aide destinée aux personnes qui avaient des difficultés à trouver un emploi. La municipalité de Shanghai s'est récemment intéressée de près au développement des groupes de travail d'intérêt public ; elle a également mis en uvre la transformation des subventions d'assistance passive en subventions d'emplois actifs. Une allocation mensuelle d'emploi de 200 à 400 yuans a été fixée pour les travailleurs qui se consacrent à des travaux d'utilité collective. La ville de Shanghai a instauré un réseau de soutien constitué par trois niveaux ville, arrondissement et district urbains, quartier pour les chômeurs en très grande difficulté, se terminant fin 1999. Cette création de 167 groupes de travail d'utilité collective (13) a permis à 10 836 personnes sur 36 000 de retrouver un emploi (14).
Nous venons d'analyser l'emploi à Shanghai sous l'angle de l'offre et de la demande en main d'uvre. D'un point de vue global, la situation shanghaienne de l'emploi est plutôt favorable, mais cet optimisme doit être tempéré.
Les tendances de l'emploi en fonction de la structure de l'emploi et du chômage
Lorsque la croissance économique est rapide, la structure de l'emploi connaît des changements radicaux. La proportion de l'emploi dans le secteur privé a cru au cours de ces dernières années (voir graphique 3), mais l'emploi dans le secteur d'Etat et collectif représente encore aujourd'hui plus de la moitié des emplois. L'évolution de l'augmentation de l'emploi dans le secteur privé devrait néanmoins se poursuivre dans les années à venir puisque Shanghai a connu une accélération de l'ajustement de ses secteurs économiques durant les vingt dernières années. Le développement reposant sur une structure économique déséquilibrée, avant les réformes, en faveur de l'industrie, et particulièrement de l'industrie lourde, a été corrigé (voir tableau 4).
Tableau 4 Evolution de la structure du PIB et répartition de lemploi (1980-1999)

Source : bureau de la sécurité sociale et du
travail de la municipalité de Shanghai.
L'ajustement rapide de la structure de l'emploi induit la création d'un volant de chômage structurel. Pour diminuer ce chômage structurel, deux conditions doivent être réunies. Tout d'abord, le marché du travail doit être hautement efficace et parfaitement développer sa fonction d'information et d'ajustement des prix. Ensuite, la qualité de la main d'uvre doit pouvoir sans cesse s'adapter à la demande des secteurs économiques en expansion. La qualité intrinsèque de la main d'uvre ne satisfait pour le moment pas les exigences du réajustement de la part relative des différents secteurs de l'économie. C'est là le facteur le plus important qui influence négativement la constitution d'un « marché » de l'emploi à Shanghai. Du point de vue de la ventilation professionnelle des emplois, la proportion des gestionnaires, des techniciens et ingénieurs augmente régulièrement alors que celle des ouvriers, apprentis et du personnel de service diminue (voir tableau 5) (15). En effet, la modification de l'importance relative des différents secteurs dans la croissance économique se fait en faveur du secteur tertiaire, très exigeant en ce qui concerne la qualité de la main d'uvre. Ce point constitue un facteur important du chômage structurel.
Tableau 5 - Répartition des salariés dans les entreprises dEtat et collectives des secteurs de lindustrie et de la construction

Source : bureau de la sécurité sociale et du
travail de la municipalité de Shanghai.
La question de la qualité de la main d'uvre apparaît aussi dans la structure des chômeurs. Trois éléments la caractérisent :
1) l'âge moyen des chômeurs augmente et la proportion des plus de 35 ans progresse régulièrement : 7,9 % des chômeurs avaient plus de 35 ans en 1991, 25,9 % à la fin de 1999 et 27,3 % à la fin juin 2000 (voir tableau 6) ;
Tableau 6 - Evolution du nombre de chômeurs, selon lâge (1991-1999)

Source : bureau de la sécurité sociale et du
travail de la municipalité de Shanghai.
2) le niveau de qualification des chômeurs baisse : la majorité n'a pas atteint le niveau des établissements techniques spécialisés 46,2 % des chômeurs, fin 1999, avaient le niveau du collège, 46,1 % celui du lycée ou d'un établissement spécialisé, 7,7 % avait un niveau supérieur aux écoles techniques et à peine 10 % avait le niveau de technicien spécialisé ou supérieur (voir tableau 7) ;
Tableau 7 - Evolution du nombre de chômeurs, selon le niveau de formation (1995-1999)

Source : bureau de la sécurité sociale et du
travail de la municipalité de Shanghai.
3) la durée du chômage est assez longue, avec une augmentation du chômage de moyenne et longue durées. La durée moyenne du chômage en 1989 était de 10 mois. En 1999, elle était passée à 16 mois. De nombreuses personnes restent au chômage plus de 2 ans (16). Les éléments décrits ci-dessus montrent les trois facettes d'un même problème : les connaissances et le niveau de qualification correspondant sont assez bas chez les chômeurs âgés dans une classe d'âge plus facilement touchée par le chômage et les chômeurs avec de faibles qualifications restent plus longtemps au chômage.
La municipalité a pris des mesures appropriées concernant le réemploi des chômeurs âgés. En 2001, la « mesure 4050 » destinée aux femmes de plus de 40 ans et aux hommes de plus de 50 ans, visait à résoudre ce problème. Par ailleurs, la ville a renforcé les mesures de formation pour les chômeurs et les xiagang. A la fin de 1997, un réseau global de formation a été instauré en reliant par ordinateur les organismes de formation au marché de l'emploi. Le centre de formation professionnelle de la ville qui est rattaché au bureau du Travail et de la Sécurité sociale a commencé, depuis 1997, à former gratuitement plus de 100 000 chômeurs à l'aide d'un bilan de compétence. Le gouvernement a pris l'initiative, en 1998, d'une formation à la création d'entreprises, en utilisant l'allocation au réemploi comme prêt ou garantie pour la création d'entreprises. En complément, il a accordé une aide spécifique aux créateurs d'entreprises qui employaient des chômeurs.
L'unification du marché du travail : son impact sur l'emploi et le chômage
Afin de mieux étudier les différents aspects des tendances de l'emploi à Shanghai, il faut analyser la situation disparate du marché de l'emploi dans les villes de Chine. Au cours du processus de restructuration et de transition du système économique, le marché du travail en Chine est resté scindé entre villes et campagnes (17), une séparation favorable au contrôle du chômage à Shanghai même. Mais avec la réforme du système de l'emploi, le marché de la main d'uvre s'est progressivement orienté vers une plus grande unité. Cette réforme a aussi influencé inévitablement la création d'emploi et le chômage.
Clivage entre les marchés du travailurbains et ruraux
En 1996, sous la pression de l'emploi de la main d'uvre urbaine, la ville de Shanghai a accru l'amplitude des restrictions et du refus de main d'uvre extérieure à la ville. Le gouvernement a créé un système de contrôle par niveau ville, arrondissements et districts en mettant en place un ajustement de la structure et un contrôle global de la main d'uvre extérieure. Non seulement le gouvernement a limité l'arrivée de la main d'uvre extérieure dans certains secteurs et postes de travail, mais encore le gouvernement a prélevé sur les unités de travail des frais de gestion et de service par personne extérieure réellement employée. En conséquence, le prix de revient de la main d'uvre migrante a augmenté et la demande des entreprises en main d'uvre migrante a diminué.
Insister sur l'influence négative de la main d'uvre migrante sur l'emploi à Shanghai est un point de vue partial car l'arrivée de la main d'uvre immigrée à Shanghai a eu un rôle positif non négligeable sur la croissance économique : le personnel extérieur accepte les emplois que la main d'uvre de Shanghai ne veut pas remplir, « ce qui est sale, fatigant et dangereux ». De plus, les consommateurs peuvent tirer profit des exigences salariales assez basses de la main d'uvre migrante. Par ailleurs, les entreprises qui emploient de la main d'uvre extérieure, peuvent accroître leur capacité de profit et d'accumulation, leur permettant d'attirer plus d'investissements et par la même d'augmenter les opportunités d'emploi. Troisièmement, la main d'uvre extérieure est aussi consommatrice : l'augmentation du volume de la demande en produits implique une demande en main d'uvre plus importante. Cet effet est très sensible lorsque l'économie est en récession. Les facteurs favorables à la séparation entre la main d'uvre des villes et celle des campagnes devraient induire une influence négative sur la croissance de l'emploi et le développement de l'économie (18). En fait, les restrictions de l'emploi de la main d'uvre migrante gênent la croissance du marché de la main d'uvre (19).
Clivages au sein du marché du travail
Shanghai est une ville représentative de la mise en place de systèmes d'emplois différenciés avec des types d'entreprises divers. Dans le secteur privé, le mécanisme de recrutement et de fixation des salaires est assez simple puisque, fondamentalement, le marché décide du volume d'emploi et de salaire (20). Dans les entreprises d'Etat, le gouvernement contrôle le volume d'emploi et le niveau des salaires (21). Ce contrôle s'exerce de trois façons : 1) il s'applique à l'ensemble des salaires : si les salaires versés par les entreprises dépassent le montant total des salaires autorisés dans l'année par le bureau du travail, le montant de l'impôt sur le revenu et sur les sociétés doit s'équilibrer avec la part totale du supplément versé en salaires et, au moment de l'établissement du plan salarial du semestre, le montant ajusté doit être prélevé sur la base du salaire moyen par personne ; 2) il s'applique également à l'ajustement et à la mise en place des hausses salariales : le bureau des salaires et de la sécurité sociale de la municipalité de Shanghai doit fixer une ligne annuelle d'augmentation salariale, la marge d'augmentation du salaire moyen par personne se calculant à partir de la marge d'augmentation des impôts réels par personne versés annuellement par l'entreprise ; 3) enfin, si le niveau de développement du salaire moyen par personne des entreprises collectives, d'Etat et des holdings dépasse, dans l'année, la moyenne de l'année précédente à Shanghai de plus de 200%, le montant du dépassement est remis au fonds d'aide aux personnes en difficulté.
En dépit des réformes, l'emploi dans les entreprises d'Etat n'est pas uniquement du ressort de mesures prises librement par les entreprises car le gouvernement applique encore un contrôle très sévère sur le stock d'emploi déjà constitué dans les entreprises d'Etat. Le système n'admet pas encore les compressions de personnel pour des raisons simplement économiques. Ces dernières années, bien que les entreprises d'Etat aient pu écouler une partie de leur personnel excédentaire dans les centres de service pour l'emploi, le départ du personnel des entreprises n'a pas concerner immédiatement l'ensemble du personnel excédentaire. Selon les capacités de dépense des finances d'Etat, en tenant compte de la pression exercée par le chiffre consolidé des xiagang de l'année précédente et de la main d'uvre excédentaire reclassée, chaque année, le bureau du travail de Shanghai peut fixer un plan d'objectifs de référence avec le nombre de xiagang de l'année. Ensuite, selon l'efficacité de chaque secteur, l'Etat répartit à nouveau dans chaque secteur l'ensemble des ouvriers et employés xiagang. Les entreprises rentables qui ont de la main d'uvre excédentaire, ne peuvent pas obtenir du gouvernement un objectif chiffré de xiagang. Pour reclasser la main d'uvre excédentaire, la seule possibilité pour ces entreprises rentables est de convertir les xiagang en postes à l'intérieur de l'entreprise même.
Le clivage au sein du marché du travail a eu des effets négatifs sur l'efficacité des entreprises d'Etat. Tant que le contrôle des salaires par le gouvernement perdurera dans ces entités, le revenu des ouvriers et employés et la croissance seront comprimés. Les salaires des entreprises d'Etat devenant plus bas que ceux des entreprises non étatiques (surtout dans les entreprises à investissements étrangers), ils engendrent une distorsion. D'ailleurs, le nombre d'employés dans les entreprises d'État sur lequel le gouvernement exerce un contrôle constitue objectivement encore la force de travail la plus importante. Alors que les salaires diminuent et que le personnel des entreprises devient excédentaire, les employés et ouvriers des entreprises d'Etat manquent de motivation pour travailler sérieusement (22). Par ailleurs, la distorsion des salaires dans les entreprises d'État constitue davantage une incitation pour que la main d'uvre hautement qualifiée choisisse les entreprises non étatiques, en entravant d'autant le développement des premières (23).
Il faut insister sur le fait que les clivages du marché du travail ne permettent qu'un contrôle à court terme du chômage dans les villes et les bourgs. La municipalité de Shanghai a déjà observé les effets négatifs de ces clivages sur l'emploi et la croissance. Lors du 10e plan, Shanghai a préconisé pour le marché du travail, la mise en place d'un mécanisme dit « du noyau et des quatre branches ». Le noyau est constitué par l'emploi mobilisé par le marché. Les quatre branches désignent la concrétisation de l'action de l'Etat dans l'économie de marché : promotion de l'emploi, assurance sociale, contrôle-supervision et services de gestion.
Dans le processus d'unification du marché du travail, les récentes tendances de l'emploi à Shanghai méritent une attention particulière. Premièrement, l'unification du marché du travail contribue à augmenter l'efficacité et la croissance économiques qui ont une influence active sur la création de postes. Ainsi, d'un point de vue de la quantité globale, l'unification du marché de la main d'uvre aide l'emploi de la main d'uvre à Shanghai. Deuxièmement, la réforme du système de l'emploi doit encore être approfondie dans les entités étatiques. Le chômage caché dans certaines entreprises étatiques devrait être « révélé ». A court terme, le taux de chômage risque de s'accroître, mais à long terme, la compétitivité de Shanghai s'améliorera en jouant un rôle actif sur la croissance de l'emploi. Troisièmement, l'unification du marché du travail augmente à coup sûr la concurrence sur le marché de la main d'uvre. En particulier, la main d'uvre extérieure à bas coût menace la structure de l'emploi de la main d'uvre de Shanghai. Le souhait de créer des emplois pour la main d'uvre originaire de la ville doit passer par une participation courageuse à la concurrence du marché qui finira par équilibrer main d'uvre extérieure et main d'uvre shanghaienne. La qualité intrinsèque de l'emploi dans des secteurs où la main d'uvre extérieure n'est pas concurrentielle doit s'améliorer sinon, le principe de la concurrence du marché ne pourra que laisser au chômage cette main d'uvre insuffisamment qualifiée.
En étudiant l'évolution des changements du chômage, de l'emploi et du marché du travail à Shanghai au cours des réformes économiques, nous avons pu dégager quelques règles générales sur l'emploi en Chine. Premièrement, pour comprendre la question du chômage, il faut chercher à connaître tous les aspects de la réforme du système de l'emploi, la situation du travail et les méthodes statistiques permettant de mesurer le taux de chômage. Aujourd'hui, si on utilise les statistiques des chômeurs inscrits, le taux de chômage à Shanghai et en Chine n'est pas élevé, mais si on prend en compte la situation des xiagang et le chômage caché des employés et ouvriers encore en poste, alors le problème du chômage semble assez grave. Toutefois, en considérant qu'un nombre important de chômeurs ou xiagang est en en fait employé (ce que nous avons appelé « l'emploi caché »), alors le niveau alarmant des chômeurs et des xiagang doit être réexaminé. Apparemment, une croissance économique soutenue permet une création rapide d'emploi sur un territoire donné. Shanghai a su maintenir pendant une très longue période une croissance économique rapide et le problème du chômage y apparaît circonscrit.
Si nous poursuivons l'analyse du changement dans l'offre et la demande de main d'uvre à Shanghai, la question du chômage n'est pas alarmante. Mais si l'on considère la transition et la structure du système, il est plus difficile d'être optimiste. L'évolution de la part relative des secteurs d'activité dans la structure économique et la qualité de la main d'uvre sont en contradiction. La main d'uvre peu qualifiée sera plus facilement menacée par le chômage. Par ailleurs, en unifiant progressivement le marché du travail, la main d'uvre excédentaire dans les entreprises d'Etat et collectives sera progressivement reclassée, entraînant un renforcement de la concurrence entre la main d'uvre extérieure et celle de Shanghai. La main d'uvre qui ne pourra pas s'adapter au processus de réforme du système, ne pourra qu'être éliminée par la concurrence du marché. Bien que la perspective de l'emploi de la main d'uvre ne soit pas encore déterminée, nous pouvons être sûrs que la réforme du système de l'emploi par le marché ne peut qu'augmenter l'efficacité d'allocation des ressources en main d'uvre et bénéficier à la croissance économique. Le problème est de savoir comment se répartissent les fruits de la croissance économique. L'avenir de la main d'uvre urbaine peu qualifiée qui n'a plus la protection du gouvernement n'est pas brillant. Or, il est de la responsabilité du gouvernement de l'aider et cela bien d'aucuns reconnaissent que c'est également à elle de fournir le plus d'efforts. S'agissant de la transition vers l'économie de marché, les évolutions récente du marché de l'emploi à Shanghai et les mesures prises par le gouvernement municipal devraient servir de repère à l'ensemble de la Chine.
Traduit du chinois par Léon Naby