BOOK REVIEWS

Catherine Keyser, Professionalizing Research in Post-Mao China - The System Reform Institute and Policy Making

by  Jon Sigurdson /

L’ouvrage de Catherine Keyser présente une analyse éclairante de l’essor et de la chute d’un think tank chinois. L’Institut de recherches sur les réformes économiques chinoises (Chinese Economic System Reform Resarch Institute, SRI), fondé au début de l’année 1985, a joué un rôle important pendant la période des réformes qui s’est achevée à la fin du mois de juin 1989. L’auteur fait une étude de cas détaillée, celle de  qui a été officiellement . En 1989, l’Institut était devenu l’un des plus ardents défenseurs de la poursuite des réformes, à un moment où le mécontentement social grandissait. L’auteur décrit comment un groupe de jeunes chercheurs est parvenu à jouer un rôle crucial, en posant les bases intellectuelles de la réforme de la société chinoise au début de la période post-Mao. Elle éclaire le lecteur sur le parcours de ces chercheurs, et sur la manière dont ils ont réussi à se détacher d’une approche dogmatique et doctrinaire de la politique économique.

L’équipe du SRI était constituée de jeunes réformateurs, pour la plupart économistes, qui souhaitaient trouver une nouvelle méthode pour aborder la modernisation de la Chine. Ils rassemblaient les faits et les analysaient au regard des ambitions du pays, de ses ressources et de ses contraintes. La majorité d’entre eux avait séjourné dans les campagnes durant la Révolution culturelle et pris conscience du décalage entre la politique du Parti et les réalités du terrain, où la majorité des chinois luttaient pour survivre. D’un petit groupe de 20 personnes, le SRI s’est peu à peu développé, jusqu’à devenir un centre de recherches à part entière, comptant près de 200 membres, d’une moyenne d’âge de 35 ans.

On ne peut comprendre l’importance du SRI qu’à la lumière de la crise de légitimité dont souffraient les dirigeants, au moment où Deng Xiaoping prit le contrôle du pouvoir. Il fallait s’attaquer au problème des nombreux dysfonctionnements du système économique chinois et il n’existait aucun schéma directeur susceptible de répondre aux besoins de réformes urgentes et nécessairement profondes. Il apparaissait donc impératif de trouver les moyens d’une expression ouverte des idées réformatrices et des choix politiques qui ne serviraient pas l’intérêt particulier des bureaucraties établies.

Il fallait mettre en place des réformes de fonds rapidement, à la suite de l’échec patent de la Révolution culturelle. Dans le même temps, la Révolution culturelle avait conduit de nombreuses personnes à réévaluer de façon critique le rôle du Parti communiste et c’est l’une des principales raisons pour lesquelles le SRI et ses jeunes chercheurs ont pu exercer une telle influence. On peut dresser un parallèle avec le Japon de l’après 1945, où de nouvelles générations sont entrées dans les organismes gouvernementaux.

L’un des événements marquants a été la tenue d’une conférence nationale sur la politique économique, à Mogashan, en septembre 1984. Cet événement a été l’amorce d’un débat sur l’équilibre à trouver entre planification et libre marché. La double tarification fut l’un des sujets les plus discutés lors de la conférence, et c’est ce système qui fut effectivement adopté. L’appendice de l’ouvrage contient une sélection précieuse de documents relatifs à cette conférence. Après le succès apparent mais partiel du processus de réforme au milieu des années 1980, l’attention s’est tournée vers les régions industrielles urbaines, où les réformes s’avéraient bien plus complexes que prévu initialement. Les habitants des zones urbaines n’étaient pas prêts à accepter les réformes programmées, et à la fin de l’année 1988, le mouvement réformateur dut reculer. L’échec de la réforme des prix à l’été 1988 affecta profondément la capacité des jeunes réformateurs à soutenir les changements nécessaires.

Avant la fermeture de l’institut, en juin 1989, ses chercheurs avaient exercé leur influence sur un large cercle de collègues, dans d’autres centres de recherches et dans les universités. Le SRI, dès le départ, avait établi des contacts avec des chercheurs étrangers et avait bénéficié des subventions nécessaires à son développement, y compris en provenance de la Fondation Soros. Le SRI fusionna tout d’abord avec un think tank conservateur au cours des événements de 1989, et disparut définitivement l’année suivante.

Le SRI fournissait une expertise importante au milieu de la recherche et aux dirigeants qui avaient besoin d’étayer leurs politiques par des connaissances solides. Ces jeunes chercheurs ont ainsi contribué à montrer que la recherche devait être indépendante tant politiquement qu’intellectuellement et que la recherche de la vérité devait dépasser les contingences politiques. Bien que cet ouvrage se soit donné pour première ambition d’étudier le cas particulier du SRI et son rayonnement à un moment de profonds bouleversements institutionnels, il eût été utile d’élargir le cadre de l’analyse pour mener une comparaison avec des pays présentant des situations similaires en période de transition post-socialiste. Seule l’une des premières notes de bas de page donne au lecteur une référence en ce sens.

L’auteur a noué ses premiers contacts avec le SRI lors de la visite d’une délégation du centre aux Etats-Unis en 1986. Cette délégation était alors chargée de s’informer sur les institutions de recherches économiques américaines et dans ce cadre visita l’American Enterprise Institute à Washington D.C. A l’origine, l’auteur de cette étude avait deux objectifs : comprendre les jeunes réformateurs et étudier comment ils avaient pu contourner les contraintes bureaucratiques qui avaient auparavant restreint la recherche indépendante et les publications. Elle a ainsi rencontré 35 membres de l’équipe du SRI et elle a effectué plusieurs entretiens avec la majorité d’entre eux.

Le titre du livre annonce « une professionnalisation de la recherche », ce qui peut induire en erreur le lecteur cherchant un ouvrage général sur le milieu de la recherche en Chine à l’ère des réformes. L’auteur parle par exemple très peu de l’Académie des sciences sociales de Chine, fondée en 1977, et qui très tôt a géré de nombreux instituts de recherche qui s’intéressaient aux mêmes champs que le SRI. Cependant, le grand apport du livre est l’analyse détaillée d’un groupe engagé de jeunes chercheurs qui a donné un nouveau souffle à la recherche académique, en l’orientant vers plus d’indépendance, avec des répercussions politiques. Zhao Ziyang, à l’époque Premier ministre, a soutenu le SRI. Il voulait tirer des enseignements des recherches du centre. Les jeunes chercheurs ont pu formuler une nouvelle interprétation des événements politiques passés, ce qui a permis en retour de rendre plus opérationnelles certaines institutions politiques. A n’en pas douter, la force de ces jeunes gens provenait de cette expérience partagée qui rendait réalisable un désir commun d’apporter leur concours à la mise en place des réformes indispensables.

Traduit de l’anglais par Mathilde Lelièvre