BOOK REVIEWS
Jos Gamble, Shanghai in Transition : Changing Perspectives and Social Contours of a Chinese Metropolis
Voici une nouvelle monographie sur Shanghai,
mais cette dernière publication se distingue par
loriginalité de son angle danalyse.
En effet, pour faire état des multiples et profondes
mutations qui bouleversent Shanghai à lère
des réformes, Jos Gamble prend le parti de donner
la
parole au petit peuple shanghaien, à ses laobaoxing,
et ce faisant, il vise à dresser, comme il lannonce
dans sa préface, l« ethnographie dune
cité » (ethnography of a city).
Après avoir rappelé de façon succincte lhistoire de Shanghai, lauteur procède, dans le premier chapitre, à lanalyse des nouvelles expressions qui sont apparues en mandarin pour caractériser les changements qua entraînés la politique de réforme et douverture. Cette entrée en matière par le biais de la lexicologie peut se révéler instructive voire amusante pour les lecteurs qui nont pas de contact direct avec la Chine des réformes ou ses habitants. Or, en dépit de ce que suggère le titre de ce chapitre, ces « Représentations et métaphores de la réforme dans le Shanghai contemporain » (Representation and Metaphors of Reform in Shanghai), telles que « duo yi ge pengyou, duo yi tiao lu » (un ami de plus ouvre une perspective supplémentaire) « ziji zhao chulu » (trouver sa propre voie de sortie, i.e. se débrouiller par ses propres moyens lorsque lon se retrouve au chômage par exemple) et « zou houmen » (passer par la porte de derrière pour contourner les obstacles bureaucratiques) sont autant dexpressions qui avaient déjà cours en Chine avant les réformes et ne sont par conséquent en rien spécifiques à cette ville. Ces dernières, issues de la langue courante ou reprises du discours officiel, comme gaige kaifang (réforme et ouverture), sont connues de toute personne, chercheur ou homme daffaires, qui fréquente la Chine de près ou de loin, par lintermédiaire dinterlocuteurs chinois ou à travers les médias. Aussi regrettera-t-on quil y ait eu si peu dexemples en dialecte shanghaien qui auraient bien mieux illustré lapproche ethnographique de lauteur et justifié son entreprise monographique.
Dans le second chapitre (Global and intra-national cultural flows: renegotiating boundaries and identities in contemporary Shanghai), lauteur, partant de lidée que lidentité chinoise nest pas une mais multiple et mouvante, sattache à définir les particularismes de lêtre shanghaien comme le produit des interpénétrations culturelles entre Shanghai et le reste de la Chine, mais aussi le monde extérieur. Le troisième chapitre (The walls within : Shanghai inside out) va plus loin dans lexploration de cette identité shanghaienne et montre que cette dernière est elle aussi multiple, variant selon la profession et le lieu du domicile de chacun.
Les nouveaux modes de consommation, qui font lobjet du chapitre quatre (Consuming Shanghai : hairy crabs, ghosts, and Christmas trees), constituent un autre marqueur de ces identités. Lintroduction des loisirs et dautres produits de consommation karaoke, restaurants coûteux, vêtements de luxe est en train de remodeler les habitudes de vie des Shanghaiens. Gamble sinsurge contre la thèse soutenue par certains auteurs, notamment Linda Chao et Ramon Myers(1), selon laquelle les différents modes de consommation, en définissant de nouvelles valeurs sociales et des sentiments dappartenance, renforcent les liens sociaux, économiques et politiques des diverses strates de la société chinoise. Pour Gamble, bien au contraire, le consumérisme contribue à rendre les écarts de richesse de plus en plus visibles, avec à lun des extrêmes les nouveaux riches qui peuvent tout se permettre et, à lautre, les laissés-pour-compte de la réforme qui voient leur pouvoir dachat sans cesse diminuer. Sans pour autant minimiser les tensions sociales que ces disparités peuvent engendrer et mises en avant par lauteur, force est de reconnaître avec Chao, Myers et Goodman(2) que les réformes ont effectivement donné naissance à une classe moyenne avec des caractéristiques qui lui sont propres.
Mais contrairement à ce que lon pourrait croire, comme nous le révèlent Li Jian et Niu Xiaohan, le sentiment dappartenance politique de cette classe moyenne, du moins pour une grande partie, va au Parti communiste chinois et le système quil représente, puisque cette classe moyenne en est elle-même issue et quelle profite pleinement des avantages que celui-ci a à lui offrir(3). Dailleurs lauteur, en reproduisant dans son étude monographique les témoignages des laobaixing de Shanghai quil a fréquentés et interrogés, donne en quelque sorte un aperçu de cette classe moyenne émergente, même si lui-même ne lidentifie pas sous ce terme.
Le chapitre 5 (Share dealers, trading places and new options in contemporary Shanghai) traite de la Bourse de Shanghai et la façon dont le boursicotage a affecté les perceptions et la vie des Shanghaiens qui sy adonnent. Enfin, cette monographie se termine sur un chapitre intitulé « Concluding impressions » qui résume le tour dhorizon effectué par Gamble, mais montre aussi ses limites. Car lapproche ethnographique qui consiste ici à reproduire les dires des laobaixing de Shanghai sans confronter leur point de vue à la lumière dautres sources, telles que des données officielles ou des études académiques sur le développement de Shanghai, noffre quune vision partielle et pas toujours véridique de lévolution de la métropole, dont on ne retiendra que des impressions, doù le titre de la conclusion. Et quand bien même les tranches de vie des laobaoxing pourraient intéresser ceux et celles qui ne sont pas familiers avec Shanghai ou la Chine des réformes effectivement, de ce point de vue, Shanghai in Transition constitue un témoignage du tournant qua amorcé la métropole au début des années 1990 , en revanche, les lecteurs avertis, après avoir été mis en appétit par un titre accrocheur, resteront sur leur faim en refermant le livre.
En effet, les propos des Shanghaiens reproduits dans cet ouvrage publié en 2003 sont extraits dentretiens que Gamble a conduits en 1992-1993, cest-à-dire au moment où Shanghai venait à peine de monter dans le train des réformes, suite à la tournée dans le sud de Deng Xiaoping. Or lauteur, comme il lécrit dans sa préface (p. xv), y est retourné à quatre reprises entre 1992 et 2000 ; on regrette fort quil nait pas actualisé ses descriptions de la vie à Shanghai lorsque lon sait les transformations que cette ville et ses habitants ont connu tout au long de la décennie 1990.