BOOK REVIEWS
Anne-Marie Blondeau, Katia Buffetrille éds., Le Tibet est-il chinois ?
Cet ouvrage est une réponse au factum Le Tibet, cent questions et réponses (Pékin, Beijing information, 1988, 124 p.), diffusé en Chine à lintention des étrangers dont lobjet est de démontrer lappartenance du Tibet à la Chine depuis le XIIIe siècle. Le Tibet est-il chinois ? sorganise à linstar de louvrage mis en cause : il reprend la succession des différentes questions et réponses groupées en neuf sections (les faits historiques, la question des droits de lhomme, la politique envers le dalaï-lama, le problème démographique, les croyances religieuses, la culture et léducation, le développement économique, les conditions de vie, les émeutes de Lhassa) auxquelles il propose une réponse scientifique. Deux parties se dessinent clairement : lune sur lhistoire du Tibet, lautre sur sa situation actuelle.
La partie historique sarticule autour de la puissance militaire tibétaine du VIIe au IXe siècle, dune réflexion sur la date supposée du début de lappartenance du Tibet à la Chine, de la définition tibétaine des relations internationales, y compris les relations sino-tibétaines. Cette partie se termine par une réfutation des arguments utilisés par les Chinois pour justifier leur invasion du Tibet et le rappel de la rébellion tibétaine de 1959.
Lempire tibétain du VIIe au IXe siècle est décrit comme un Etat puissant dont les rois, combatifs, étendirent le territoire et reçurent des ambassades de Chine, des Arabes et des différents Etats turcs. Plus tard, au XIIIe siècle, les Tibétains se soumirent à lempire mondial mongol et le Tibet fut gouverné, en majeure partie, par la branche de lempire mongol qui sétablit en Chine. Il est expliqué cependant que lidée chinoise selon laquelle les Mongols des Yuan, conquérants de la Chine, se soient considérés comme chinois et aient établi leur empire comme un empire chinois ne tient pas. Enfin, lhistoire dynastique des Yuan (1271-1368) et, plus tard, celle des Ming (1368-1644) excluent le Tibet du territoire de la Chine, doù la difficulté pour les sources chinoises de saccorder sur la date à laquelle le Tibet est devenu une partie de la Chine sous la dynastie mongole des Yuan.
A lépoque des Qing (1644-1911), il semble que les Mandchous englobèrent progressivement le Tibet dans le système politique chinois à partir de 1721, en établissant notamment une garnison et une ambassade à Lhassa et en participant à la mise en place de nouvelles administrations tibétaines. Cependant, linfluence des Qing diminua au Tibet tout au long du XIXe siècle. Durant la dynastie des Qing, le lien de chapelain à donateur sexerça pleinement. Cette relation sétablissait à tous les échelons de la société tibétaine et, dun point de vue tibétain, gérait aussi les relations politiques : les maîtres tibétains agissaient en tant que maîtres spirituels tandis que les empereurs mandchous étaient les donateurs. Les Mandchous apportaient la protection militaire à un Tibet dépourvu darmée et les dons rendaient le bouddhisme florissant. Les Mandchous jouèrent de cette relation pour établir un protectorat de facto sur le Tibet car, de leur point de vue, le Tibet faisait partie de leur empire. Finalement, la domination britannique en Inde et lintérêt croissant des Britanniques envers le Tibet changèrent léquilibre politico-religieux traditionnel qui déterminait les relations de la Chine et du Tibet jusquau début du XXe siècle. Entre 1913 et 1950, le Tibet jouit de lindépendance avec un pouvoir absolu sur ses affaires intérieures et extérieures. En 1950, les volontés expansionnistes et unificatrices de la Chine communiste sont à lorigine de loccupation chinoise du Tibet. De fait, les allégations chinoises pour envahir le Tibet en 1950, notamment celle selon laquelle les Tibétains auraient eux-mêmes demandé à être libérés des influences étrangères, sont réfutées. Cette partie se conclut avec une mise au point sur la rébellion tibétaine de 1959, suscitée par loccupation chinoise du Tibet.
La seconde partie de louvrage témoigne de la situation contemporaine du Tibet. A largumentation chinoise qui veut que la société tibétaine se soit développée vers plus déquité et de justice, les chercheurs occidentaux répondent par des faits. Les Chinois éprouvent un réel besoin politique de montrer que le Tibet était féodal et répressif. Or, si les Tibétains saccordent à dire que la société traditionnelle était inéquitable, on trouve peu de preuves dune oppression. Ou encore, daprès les Chinois, le bouddhisme est florissant au Tibet ; mais certains témoignages et textes politiques chinois semblent montrer le contraire.
Les émeutes de Lhassa et les motivations des manifestants sont aussi significatives. Quelque cent cinquante manifestations pacifiques ont été réprimées par la force au Tibet entre 1987 et 1996. Linstauration de la loi martiale à Lhassa en 1989 reste la mesure la plus répressive imposée par les Chinois au Tibet où les habitants sont victimes demprisonnements et de morts suspectes. Les Chinois accusent le gouvernement en exil tibétain dêtre à lorigine des troubles. Robert Barnett explique quon ne peut que sattendre à ce que lexistence du dalaï-lama en exil représente pour les Tibétains une possibilité durable de reconquérir leur identité nationale sous une forme ou sous une autre ; il est difficile de prétendre quune telle aspiration à lindépendance est simplement le résultat dune conspiration ou dune provocation artificielle des exilés. Il précise également les termes utilisés par les manifestants tibétains pour définir leurs objectifs : ils voulaient être libérés de la loi chinoise et permettre le retour du dalaï-lama.
Il est toutefois des questions auxquelles il est difficile de répondre. Cest le cas des problèmes démographiques. Les Chinois comme les Tibétains jouent de lincertitude des frontières tibétaines (selon que les provinces tibétaines de lAmdo et du Kham soient inclues ou exclues des statistiques) et des recensements.
Enfin, le traitement des thèmes de la culture ou de léconomie, par exemple, offrent un autre regard sur la société tibétaine. Il montre son évolution et son ouverture, tout en regrettant leffacement de la culture traditionnelle tibétaine.
Tout lecteur désireux dapprocher lhistoire du Tibet sera comblé de trouver une analyse et une réflexion historiques sur un aussi grand nombre de thèmes, en contrepoint des rhétoriques de la propagande chinoise sur le Tibet. Les réactions occidentales aux questions et réponses chinoises sont pondérées et argumentées. Elles forment un ensemble homogène qui dévoile des aspects ignorés de la société tibétaine passée et présente.